La peinture a un rapport très particulier avec la notion de catastrophe : tableaux de tornades, d’éruption volcanique, d’avalanches, de tempêtes. Peinture-catastrophes[1] d’éléments déchaînés. La catastrophe en peinture. Une catastrophe qui affecterait l’acte de peindre en lui-même. L’exemple emblématique est celui de Turner :il peint beaucoup de catastrophes. Ce qui l’intéresse dans la mer, c’es les tempêtes, ce qui l’intéresse dans les montagnes, c’est souvent des avalanches. Dans cette nouvelle période de Hamza Fakir, qu’on peut également qualifier de peinture-catastrophe ; ce qui l’intéresse ; ce sont les typhons, les tornades, les trous noirs. Tout se passe comme s’il entrait dans un nouvel élément, une nouvelle manière, un nouveau style. Ce nouvel élément c’est quoi ? La catastrophe est au cœur de l’acte de peindre. Les formes s’évanouissent. Il fallait que l’acte de peindre passa par cette catastrophe pour engendrer la couleur, pour que la couleur naisse. L’acte de peindre passe par le chaos, par la catastrophe, pour que quelque chose en sorte ; à savoir la couleur et la lumière.
La lumière se propage dans l’espace en ondes et en particules à partir d’un centre qui s’étend en cercles concentriques. Ondes lumineuses, naissance de la couleur d’interpénétration des particules aquatiques et des particules lumineuses. La nouvelle période de Hamza Fakir, est entièrement consacré à la peinture-catastrophe et à la lumière ; à la naissance de la couleur. Plus importantes que les choses peintes, il y a la lumière.Peindre un pur espace optique, c’est ce qui caractérise la peinture abstraite moderne. Pourquoi l’univers, le cosmos tournent-ils ? Pourquoi le neutron avec l’atome tournent ? Il y a beaucoup de choses qui tournent : la terre tourne, le sang tourne. Pour avoir la lumière, il faut que la terre tourne .C’est le cercle de la vie. Le monde est fait d’ombre et de lumière. Le cercle est à la fois infini et limité comme l’affirme Héraclite : « Dans la circonférence d’un cercle, le commencement et la fin se confondent. ». Hamza Fakir accorde plus d’importance à la peinture-catastrophe qu’à la forme circulaire : le cercle non pas en tant que forme géométrique parfaite mais en tant que tourbillon, vertige, perte d’équilibre. Un équilibre constamment remis en cause par les éléments déchaînés de la catastrophe.
Trou noir sanguin, tourbillonnant vertigineux. Un tour de main qui renvoi visuellement nt au typhon, à la lave volcanique en ébullition. Du néant surgit le Big Bong ; point de bascule entre le zéro et l’infini. Enérgie qui donna naissance, in-illo-tempore, à l’univers ; au magma primordial, au mythe fondateur, bien avant le surgissement de l’espace et du temps.
Jeux de peinture, jeux de mots. Cette peinture-catastrophe se fonde sur un univers sémantique tournoyant : « faire un tour », c ’est s’échapper de soi-même et de ses tourments pour voir aller ailleurs . Ouvrir le regard sur un autre univers. Une peinture abstraite qui parle de ce qui tourne dans la tête de l’artiste, comme le sang circule dans le corps, comme les rêves circulent dans l’ imaginaire, comme les planètes circulent dans la voûte céleste : « Ce qui est incroyable, nous dit l’artiste, pris à son propre jeu ; c’est que tu peux faire, à chaque fois un cercle différent. Tu as le vertige en regardant cette peinture , qui exprime aussi les tournants: quand quelqu’un a des problèmes ; il te dit : je tourne en rond. ». Un vertige poétique au bord de l’abime : « Allons voir la mer , restons face aux vagues jusqu’au vertige… »
L’hiver, les étourneaux, ces oiseaux solaires qu’on appelle zerzour, forment un immense « boa volant », qui orne le ciel et se confond avec lui. Calligraphie céleste, noria tournoyante au crépuscule. Ces oiseaux sont les gardiens de l’île, ou peut-être la réincarnation des âmes qui la hantent encore. Comme le dit si bien le mythe Orphique : « Si les hommes meurent, c’est parce qu’ils ne sont pas capables de joindre le commencement à la fin ». Cette exigence initiatique doit permettre à la fois d’achever le rite circulaire et l’œuvre, en son cadre d’or.
Ghazoua, le dimanche 3 février 2019
Abdelkader Mana
Anthropologue et critique d’art