« Plonge dans l’étonnement et la stupéfaction sans limites, ainsi tu peux être sans limites, ainsi tu peux être infiniment. »
Eugène Ionesco
Il est des œuvres qui possèdent un pouvoir de suggestion immédiat. Dans le sens d’une entrée en matière presque spontanée, tellement elles allient l’idée et son habillage artistique en une symbiose qui procure premièrement l’émotion, et deuxièmement la spéculation intellectuelle qui en découle de nature, oserais-je dire. On est alors dans le propre de la destinée de la peinture comme ouverture sur des univers intérieurs insoupçonnables. Saïd Ouattar nous les restitue, en leur donnant vie, à travers une palette heureuse qui réussit l’exploit d’exprimer tout cela comme réaction à un/des extérieur/extérieurs senti/sentis profondément. Ce singulier et ce pluriel utilisés ici étant le reflet de deux registres d’exploration entrepris par l’artiste. Celui où des «visages» multiples affleurent, et celui où subsistent les couleurs étalées en forme, en lignes et autres éléments eux aussi répétés constamment. Le premier registre étant le plus à même de rendre compte de la spécificité de l’artiste, et le deuxième faisant office de recherche plastique pure. Mais les deux répondent différemment à notre propos du début : la capacité de suggérer le questionnement ontologique par le biais de l’acte de peindre.
Un acte qu’on peut relier à différents courants artistiques. Un abstrait qui emmêle du lyrisme par petites touches, du géométrique comme emprunt de certaines de ses caractéristiques, et des soupçons d’appel au référentiel figuratif. L’ensemble baigné dans le clair, frôlé par le lumineux qui ouvre grande ouverte la porte à l’éblouissement poétique. Il y va de la fête de la couleur lorsqu’elle tire vers le plein jour, le fastueusement grandiloquent, même dans la douleur. Toutefois, c’est une multiplicité restreinte et maîtrisée, car elle vise à cerner l’apparence de l’être sur l’espace du tableau tel que l’appréhende l’artiste, et ainsi délivrer les sensations qui la rendent effective et palpable. C’est une apparence qui est avancée donc à travers des visages. Ou plutôt des figures humaines, pour être plus précis. Puisqu’on ne voit ni corps ni membres. Des portraits avec des yeux retravaillés, réemployés afin de signifier l’étonnement éprouvé comme expérience du monde devant le mystère de la vie. Leurs regards, dirigés vers l’avant à l’horizontale, sont saisis dans la fixation, arrondis par une vision ou affichant la neutralité, sont remplis de ce qu’ils ont vu, c’est-à-dire ce que l’artiste Saïd Ouattar a pu voir et qu’il a transmis à son pinceau. Le résultat est saisissant, car ce qui a été vu vient habiter ces yeux, les investir, non sur le mode de la réflexion ardue, mais sur celui de l’adoption sans être tyrannique ou forcée. L’explication se trouve dans le fait que ce que l’artiste nous fait sentir est l’impact fusionné à l’être : le regardeur faisant un avec son sujet hors champ dont l’influence profonde est étalée sur toute la face. Et ce sujet et cette affluence perçus dans les petits morcellements sont vécus par des à-coups que les tableaux reflètent dynamiquement. C’est une multitude d’aplats, de touches plaquées ou en pointillés, écoulées ou traînées, portées par les couleurs vives. Ça séduit fortement. Dans les tons jaune-orange-vert avec des intrusions de rouge. Et ça installe un exercice d’admiration bien singulier. Des visages doublés, de petits visages à l’intérieur d’un visage ressemblant mais plus grand, avec des composants éparpillés. Un ensemble équilibré qui nous renseigne sur une intériorité à fleur de peau dans être disons « charcutée», ce qui entraîne des émotions sereines et rassérénées, comme lorsque la sagesse l’emporte sur l’emportement. Un art ne s’embarrassant pas de l’effet affecté, mais de l’effet paisible. On en veut pour preuve les tableaux franchement abstrait où les figures et les couleurs tirent vers ce qui oblige à la contemplation tranquille (tranquillisante), le bleu et le vert denses tout en étant limpides.
Le langage plastique chez l’artiste centrée sur l’intérêt majeur porté à l’exploration de toutes les possibilités de ces gammes de couleurs est au service de la relation à l’existence où l’âme est ciblée et touchée. Un expressionnisme qui emplit son monde différemment, diversement, dans une plaisante combinaison que l’heur fait pencher du côté d’un bon ressenti en fin de compte à la portée du regard. Et ce à cause, ou grâce (les deux postulats entièrement possibles) à une certaine fragmentation, évidemment visible dans l’œuvre de l’artiste, du contenu des toiles à messages explicites et des toiles qui paraissent sans ambition que celle d’exister par l’élément plastique pur. Enfin, on est rehaussé en tant qu’hommes par le miroir tendu par l’œuvre.
Comme toute recherche artistique sincère, le travail de Saïd Ouattar tient ses promesses formelles et ses appréhensions thématiques dans le bonheur de la couleur éclairante de l’âme.
Par M’barek HOUSNI
Écrivain et chroniqueur