Youssef Labdag, Abderrahman El Hannaoui et Ahmed Bouidi exposent à Casablanca : Métaphores de la trace –trilogie- »

 

 

Sous le signe «  métaphores de la trace –trilogie- », les cimaises de la GAM Arte Muse( 5, Rue Abou El Hinnaa, quartier Ferme Bretonne Beauséjour, Casablanca)  abritent les œuvres des artistes peintres Youssef Labdag, Abderrahman El Hannaoui et Ahmed Bouidi du 29 mars au 15 avril 2018.

 

 

Youssef Labdag: Le beau c’est l’étrange

 

L’artiste plasticien Youssef Labdag (né en 1983 à Khouribga) est considéré comme l’un des créateurs en devenir qui n’a pas besoin d’être présenté. Il est membre du   Club Californie des artistes  aux États-Unis et titulaire de  la médaille honorifique de la Fondation académique « Arts, sciences et lettres».  A titre  de  consécration de son parcours créatif,  il  a été aussi couronné du Prix du mérite  dans le cadre   de  la deuxième édition de l’exposition internationale «Les mains qui voient», organisée par l’Association «  Création et communication »  en partenariat avec le ministère de la Culture, l’École supérieure des beaux-arts de Casablanca, l’Association  «  la Pensée  plastique  »   et Mondial Art Académie de France. Et ce en décembre 2015, en hommage à l’artiste peintre Abdelkrim El Ghattass.   Ses œuvres meublent l’espace visuel des couvertures de publications de la maison d’édition Oumnia  pour  la Communication et à la Création. En outre, Youssef Labdag est diplômé de l’École technique d’arts appliqués de Casablanca ( ETAP)  et est l’un des artistes les plus remarquables dans les domaines de la musique et du design graphique, ainsi que l’écriture de scénarios et les aphorismes poétiques.

Dans ses œuvres artistiques, le contemplateur s’aperçoit  qu’il s’agit d’une série continue  d’états de transe de couleur et de forme.  C’est un voyage créatif épique dans le corps des couleurs et des formes à travers la technique de  la picturalité  avec toutes ses coïncidences et ses rendus  synthétiques. Il attribue une importance particulière à la  fragmentation  et à la réduction, en y utilisant plusieurs unités visuelles semi-figuratives qui révèlent sa grande fascination pour la beauté de l’empreinte et l’impact sur le support / la toile.

Il a peint toutes ses œuvres d’art avec vitalité et spontanéité, qu’elles soient appliquées dans les kasbahs du Sud ou celles occupées par des arbres, des danses spirituelles et des matières synthétiques. Dans son travail artistique libre, volant tel un oiseau chantant, j’évoque souvent le propos de Francis Bacon : «Quand je te vois maintenant, je ne vois pas seulement les traits de ton visage, mais je vois des radiations, des allusions et des émissions, et c’est ce que j’essaie de mettre dans mes œuvres. Je voudrais revenir à l’origine du mystère puisque la nature de l’apparence est plutôt le  rôle de la caméra».

Pour lui, l’œuvre est comme une composition musicale. Cela sert de prétexte pour intégrer les impressions chromatiques et formelles dans le corps du support. Il travaille sur  la peinture  empreinte  d’une manière   concise et éloquente. Cela ressemble plus à une poéticité éclatante à laquelle les traits appropriés et les formes ondulantes confèrent une dimension abstraite à l’expressivité extrême. Chaque œuvre d’art témoigne de cette transformation qualitative renforcée par une étude approfondie de la technique picturale utilisée avec expérience et savoir-faire. Il est clair que, dans l’espace visuel de ses travaux picturaux , ces coups chromatiques rapides qui pénètrent les blancs et  s’étalent librement et coulent sur les dimensions du support, révélant ainsi son sens émotionnel et constituant   l’extension de son corps et de son âme à la fois.  Sans contexte,  c’est ce qui explique clairement les rythmes de ses couleurs, les mouvements de ses pinceaux et leurs envols et  fragmentations expressives.

Le beau , du point de vue de Youssef Labdag, c’est l’étrange. Il est un partisan de Grotesque, une expression qui, depuis  la Renaissance, désigne  les dessins fantastiques et étranges. Il essaie de conférer cette dimension inhabituelle à son monde esthétique, saisissant  que la véritable créativité est proche de l’essence des choses et des êtres en dehors de tous les traits inversés et subordonnés du jeu de déguisement et de fabrication dans notre monde marqué par la tyrannie de la transcription, des copies des copies et du simulacre. Ses œuvres créatives confirment que l’art plastique, depuis le romantisme, suivi de l’impressionnisme, cherche à capturer des faits fuyants à la recherche d’impressions et d’expressions instantanées. C’est ce qui constitue sa conscience visuelle de notre époque actuelle basée sur la commercialisation et la fabrication d’images malgré leur trahison à l’origine et à la vérité.

Le critique  d’art  Clive Bell a déjà souligné que l’art revêt une importance extrême, tant sur le plan éthique que sur le plan esthétique. Tous les moments de créativité sont semblables à ces moments de la vie. Pour cela, Youssef Labdag tente donc de rassembler «le maximum de battement» dans ses œuvres expressives. C’est là que réside la vitalité artistique de l’art que l’esthète  Oscar Wilde a précédemment considérée comme une vérité suprême et un coup d’imagination créatrice qui se  matérialise  magnifiée. Son premier et dernier souci n’est pas de juger une certaine réalité scénique, mais d’essayer d’exprimer son expérience interactive avec des unités abstraites de manière suggestive, émouvante et honnête. En général, le flux d’expression ne respecte pas sa nature invisible de  ce qui est familier ou conventionnel, mais stimule notre vision  intérieure et suscite  notre audace, cédant la place ainsi aux désirs de notre libération et de notre lancée, et non aux tendances de notre immobilité et notre monotonie. Les formes, de son point de vue, sont des mélodies visuelles   dont on doit saisir leurs suggestions éloquentes de l’œil.

 

Abderrahman El Hannaoui:   La généalogie de l’être

 

Il est impossible d’approcher le paysage plastique fantastique au Maroc sans évoquer le nom de l’artiste créateur autodidacte Abderrahman El Hannaoui  (né en 1964 à Casablanca). Depuis 1978 (date de sa première exposition individuelle au Théâtre municipal), il a pu présenter plusieurs registres créatifs qui font voyager les regardeurs dans plusieurs orbites visuelles qui marient bien les univers de l’art réaliste, de l’art naturaliste et l’art classique à la lumière d’un traitement technique savant qui expérimente les secrets de la peinture à l’huile et de ses interactions chimiques.

Dans son sens singulier et son talent naturel prématuré, il a excellé dans la conception et la réalisation de plusieurs dessins préparatoires qui reproduisent ce qui a germé et ce qui a été enraciné dans son imagination visuelle, des chefs-d’œuvre de la création artistique mondiale sur les traces de Michel-Ange, Durer, Poussin, Le Caravage, Mani et bien d’autres légendes de la création plastique à la fois classique et moderne .

Les débuts artistiques de ce plasticien  étaient aussi précoce que le début de l’épisode du couronnement  de son parcours créatif: l’artiste Abderrahman El Hannaoui  se rappelle encore, avec fierté et enchantement, avoir décroché le premier prix dans le cadre de l’exposition du Salon d’Automne initiée par le Centre culturel français en 1987. Il s’agit d’une année historique dans le parcours de cet artiste créateur, car elle documente le premier détour qualitatif de l’art réaliste classique au domaine de l’art fantastique  avec toutes ses portées merveilleuses et magiques. Ainsi, le fil conducteur de cette tendance artistique sera répandu dans une dimension surréaliste et continuera de manière méthodique et progressive. En 2005, à la galerie de la bibliothèque municipale d’Italie, il  expose le fruit  de cette expérience artistique exceptionnelle et singulière, qui puise sa source de certaines us populaires, légendes collectives et rituels symboliques exprimant une charte relationnelle particulière entre les êtres et les choses à la lumière de leurs relations complexes avec les questions de temps, de réalité, de vie, de mort, de pouvoir, de présent et d’avenir. Dans ce contexte stylistique, l’artiste Abderrahman El Hannaoui déclare: «Dans mes œuvres fantastiques, j’essaie de traiter la question de l’être humain, en révélant les conditions de sa fragilité subjective et objective. Et ce en donnant libre cours à l’imagination considérée comme une verve expressionniste digne d’explorer les tréfonds de l’humanité et d’exposer ses contradictions existentielles. Je suis un partisan de la liberté d’expression en tant qu’équivalent symbolique de la liberté d’existence. Ce qui suscite mon imagination individuelle et mes préoccupations intellectuelles et esthétiques, c’est la réalité de l’humanité et son destin inconnu».

Les univers scéniques d’Abderrahman El Hannaoui sont uniques par l’abondance de leur imaginaire créatif qui dépouille l’être des composantes   de son identité géographique et ethnographique, devenant ainsi de simples états existentiels chargés de suggestions et de valeurs hybrides. Chaque tableau est un ensemble d’ombres et d’échos qui meublent la scène générale (je me souviens des événements tragiques du 11 septembre qui traduisent le choc des civilisations) sous forme d’une parodie sarcastique ramant contre le courant  de du réalisme expressionniste, comme pour poser ces questions problématiques: comment peut-on exprimer le sens esthétique du temps de l’irrationnel où nous vivons, et devant l’endurance de la réalité et ses contradictions? La création contemporaine n’est-elle pas une sorte de «trahison de l’être et de sa véritable entité»?  Ici, l’art plastique devient un déplacement, comme le dit le penseur Gilles Deleuze. L’œuvre, dans cette optique, est une série de scènes et de structures fantastiques basées sur le principe de la remise en cause, de la déconstruction et de l’abstraction, célébrant ainsi des forces dynamiques et des pouvoirs symboliques ouverts aux possibilités et au devenir.  Ainsi, le travail plastique chez Abderrahman El Hannaoui est défini comme une introduction générale à la « Généalogie de l’être» (je me souviens de la «Généalogie de la morale» du philosophe Nietzsche). Se révèle donc à nous  une autre origine de l’homme en dehors des annexes  de la réalité publicitaire  et du modèle économique: l’artiste dénude l’être  transformé en simples chiffres et marques compte tenu de la servitude moderne. Les êtres d’Abderrahman El Hannaoui sont dépouillés  de tout sous la forme d’états primitifs avant le conditionnement, la normalisation et l’aliénation. Il peint l’origine de la vérité des choses, ce qui forge son identité naturelle en dehors des paramètres de l’histoire et de la métaphysique. Chaque œuvre présente plastiquement des entités insolites à nous, approfondissant notre conscience existentielle et notre perception réaliste. L’artiste Abderrahman El Hannaoui a excellé dans  la confirmation de son potentiel plastique  en dehors de tous les masques et les illusions artificiels. Ses convictions vivantes et ses extensions expressives constituent un terreau particulier pour accéder à son univers visuel, qui a préservé la constance de la créativité sans pour autant sombrer dans le labyrinthe de la production soumise à des chiffres et des séries. Il est l’un des fidèles de l’unité de la création et de sa singularité, en harmonie avec le monde charmant du chef-d’œuvre. Il est ainsi considéré comme l’un des rares artistes au Maroc à avoir apporté une contribution significative dans le domaine de l’art fantastique sous tous ses affluents et connotations, qui résultent une jouissance visuelle à l’intérieur de l’œuvre où habitent les rêves et les fantasmes.

 

Ahmed Bouidi: Quand le corps nous appelle!

 

 

L’expérience de l’artiste plasticien et président de l’Association Bassamat des Beaux-arts Ahmed Bouidi s’inscrit dans le processus de la nouvelle sensibilité qui a choisi la recherche et l’expérimentation comme sa demeure créative au sens profond du  terme. C’est un artiste organique, un acteur associatif et un pédagogue habité par les arts visuels depuis sa plus tendre enfance et tout au long de son cursus scolaire, couronné par le Diplôme de  l’Ecole Supérieure  des Beaux-arts de Casablanca en 1993.

Ahmed Bouidi (né en 1967 à Casablanca) est l’un des passionnés de l’amour du pinceau et l’expérimentation des matières picturales et non picturales sur divers supports. On le voit passer d’un monde expressionniste à un monde différent avec souplesse et fluidité, écoutant ses intérieurs, ouvert aux styles esthétiques et aux aventures plastiques mondiales. Ses œuvres sont une sorte de poésie visuelle que nous écoutons avec l’œil et une leçon de la méditation esthétique qui se présente sous une forme rituelle semblable à la célébration du beau et du brut, je veux dire la célébration du temps. Emil Cioran n’a-t-il pas dit: « Être moderne, c’est bricoler dans l’incurable ».

Toutes les manifestations artistiques et expositions individuelles et collectives organisées par l’artiste créateur Ahmed Bouidi soulignent l’étendue de sa maîtrise  technique et sa consistance intellectuelle en tant qu’ingénieur de la culture de la proximité avec des êtres et des choses. Il est l’auteur de plusieurs questions brûlantes sur l’art, le monde, l’être et l’entité.

À la lumière de ses nouvelles œuvres, l’artiste Ahmed Bouidi aborde les problèmes de l’homme contemporain au regard de sa mémoire collective, engagée dans les géographies de la communication mondiale et fidèle à l’appel venant des profondeurs de l’être recherchant l’harmonie et l’entente, et non des rapports de force et de dissonance.

Chaque œuvre artistique est un visa d’accès à une œuvre différente sans redondance  ni reproduction. L’artiste formule des éclats avec la couleur, la forme et la trace qui  s’ajoutent aux registres de la création à la fois expérimentale et problématique: création libre digne d’un suivi et d’un accompagnement par la pensée, la critique et les médias.

L’œuvre d’Ahmed Bouidi provoque notre imagination et nous conduit à un  voyage intérieur dans les univers des sens et des significations. Dans sa présence visuelle, nous entendons presque l’appel métaphorique du corps au pluriel. Il  occupe la plus grande part de l’espace scénique. Lorsque nous décodons  les messages des œuvres énigmatiques, il nous semble que la trace est le paradigme de l’œuvre en entier.  Le philosophe Nietzsche aimait à répéter: «Nous devons avant tout apprendre à entendre le mouvement des verres ». Ici, nous avons le droit de répéter: «Nous devons avant tout apprendre à entendre l’appel du corps».

Les blancs du tableau  cache l’indésirable et l’impensable.  Sa plénitude est empreinte d’un prétexte chimique pour révéler l’âme de l’être qui se réjouit de son entité c’est-à-dire de sa liberté dans sa condition existentielle sans simulations ni masques. Le désir de l’art n’est-il pas survivre, continuer à vivre, vivre à l’au-delà, revenir à la vie ? C’est le manifeste visuel tiré de l’expérience d’Ahmed Bouidi. Un manifeste qui rappelle aux  obsédés par la beauté cachée du poète Eluard: «Le dur désir de durer).

Dans les tableaux d’Ahmed Bouidi, nous regardons le corps comme si nous apprenions à regarder à zéro … comme si nous voyions pour la première fois … comme s’il nous invitait à oublier notre ancienne vie et à nous adapter à notre nouvelle vie. L’oubli n’est-il pas  une nouvelle mémoire, une mémoire double et excessive?

En effet, Ahmed Bouidi est porteur d’un projet esthétique et expressif brut  dans ses trois sens: temporel / anticipatif, spatial / projectionniste et visuel/ optique. Ainsi, par sa technique mixte, l’artiste a assemblé la logique de soi et la logique de l’art plastique, et la logique de sens. Les corps d’Ahmed Bouidi recherchent la distance, l’espace et la différence (dégagement) sans tenir compte de l’engagement ou le désengagement.

Suite à la déclaration du grand écrivain français Gustave Flaubert selon laquelle la bêtise consiste à vouloir conclure,  je garderai la distance mentionnée, laissant les corps d’Ahmed Bouidi dans le tableau nous appeler, comme ils nous appellent dans la société du spectacle  qui prend plusieurs formes pour produire le non-sens et l’impensé. C’est ces corps symboliques qui ont fait de l’œuvre de cet artiste expérimentateur un laboratoire ouvert sur de nombreuses possibilités et découvertes. «L’image du corps humain est l’image de notre propre corps que nous formons dans notre pensée et notre culture.», a écrit Schilder dans son livre « L’image du corps». Tel est le pari d’Ahmed Bouidi, engagé dans le dédale du voyage permanent dans la mémoire de la matière, du support et de l’espace, créant ainsi un art avant-gardiste face à la culture du kitsch ou de l’arrière-garde  selon les termes  du critique américain Clément Grenberg.

 

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