Dans le cadre de ses activités culturelles, l’Institut Supérieur de Journalisme et de Formation à Casablanca a abrité récemment la cérémonie de présentation et de signature du livre « Fragments » de l’artiste plasticienne et écrivaine Loubaba Laalej avec la participation de deux préfaciers Dr.Rachid, écrivain et professeur chercheur et le poète et esthète Boujemaa Achefri .
Cette rencontre ouverte avec Loubaba Laalej modérée par Dr. Talha Jibril, écrivain journaliste et professeur chercheur, a été rehaussée par présence effective de plusieurs artistes marocains et étrangers de renom ainsi que des présidents et invités d’honneur tels que Houssein Tallal, Abderrahmane Rahoule ( qui a remis un trophée d’honneur à l’écrivaine), Dr.Ichaab Bousserrhine( président de Fine Arts Forum International )et bien d’autres encore.
Elle s’est déroulée dans une ambiance conviviale et combien solennelle ainsi que dans une atmosphère empreinte de spiritualité et sublimation. Elle a connu un vif succès dont témoigne le nombre d’affluence des passionnés d’art et des étudiants, tout en ciblant une large audience, spécialement la plus jeune afin de valoriser davantage ce genre d’écriture fragmentaire.
L’événement a impressionné les funs de la littérature lors de cette cérémonie mémorable marquée par les récitals poétiques de Loubaba Laalej qui ont impressionné éminemment les férus des fragments foncièrement hors pair d’une grande connotation spirituelle voire émotionnelle.
Il est à rappeler que ses fragments selon leur auteure Loubaba Laalej nous font penser au haïku qui se veut un petit poème extrêmement bref visant à dire et célébrer l’évanescence des choses et des êtres. C’est une forme poétique très codifiée d’origine japonaise et dont la paternité, dans son esprit actuel, est attribuée au poète Bashō Matsuo (1644-1694).
Le reuueil de Loubaba traduit à l’arabe par le critique d’art Dr. Abdellah Cheikh est une sensation qui se présente comme une sorte d’instantané. Il traduit une émotion, un sentiment passager via un style concis et éloquent. Il n’exclut cependant pas l’imagination, le rêve et les figures de style. Un livre qui incite à la réflexion et à la méditation. C’est au lecteur avisé qu’il revient de se créer sa propre image et de lire attentivement afin d’en saisir complètement le sens caché et la subtilité de l’énonciation. La poétesse recherche l’essentiel et mène à bien un travail d’épuration voué à l’interprétation.
Sur ce recueil de poèmes, Rachid Daouani, a écrit : « Fragments…Fragments de vie, fragments de mort, fragment d’amour, fragments de soi et de l’autre. Ces fragments donnent sa force à l’énergie d’un combat qui est à l’origine même du principe créateur. La création bouillonne entre la blancheur et la virginité de l’être écrivant, de la page qui va devenir embrasement au feu du corps/Qalam entre force et violence. Entrelacement des émotions, des mots, de la page…inspiration au bord de l’extase. Une transmission de ce principe de vie où tout se fait alternativement dans le don comme dans le combat à travers le Qalam succédané du corps…
Jamais acte ne fût plus pur dans son intention originelle…
C’est le Verbe qui de fait chaire, corps démembré, remembré en fragments. Ces fragments sont un trouble des sens déchiffrant les mots qui, brulants, se suivent et se bousculent à évoquer la réalité d’un désir qui taraude et se noie dans cette encre que le lecteur guette et admire, fasciné subjugué par cet entre-deux. Cet instant d’entre les instants où rien ne ressemble à rien, marque l’éternité de l’écriture fragmentaire.
Ecriture tordue et torturante.
Ecriture jouissive et jouissante…
Jouissance qui jaillit de l’esprit de la poétesse, des dits et des non-dits, des frénésies d’envies en fusion, partagée entre lettres délicates à choisir et à offrir sans heurter, prévenante, touchante, lyrique et sensible…».
Dans un texte introductif intitulé « Les traits biographiques d’un corps en fragments », le poète et esthète Boujemaa Achefri a écrit : « La flèche du plaisir. Le plaisir de la fascination. Des images contenues dans les fragments. Des fragments contenus dans les images. Elle écrit à propos de ce qui ressemble à son corps. Elle lui porte le langage. Elle épelle ses lettres. Elle pose les voiles sur elle. Elle suggère quelque chose. Elle dit : C’est mon corps … C’est le corps de ma mère … Et ce sont mes souvenirs.
La main pictographie des mots, raconte l’histoire d’un corps collé au sol « courant derrière le vent », interrogeant son âme sur comment « décoller à partir du point zéro et d’une métamorphose à une autre pour apaiser la douleur ». Seul « le fragmentaire » peut contenir l’apparent et le latent entre ses plis. Entre rêve et éveil, on lit « ce qui électrocute l’écriture et attise sa violence » (« L’écriture du désastre », Maurice Blanchot, traduction de Azzedine Chentouf, Éditions Dar Toubkal, Casablanca, première édition 2018, p. 90). On retrouve donc dans « Le voile des voiles » la question de la nostalgie, la question du « corps inconnu » inhérente à l’entité de l’écrivaine.
Les fragments ne révèlent pas ce qu’ils contiennent, mais seulement ce qu’ils connotent… et ce qu’ils connotent les illumine, tout comme une lueur de lumière qui apparaît de loin. Une fois qu’on l’approche, elle s’éteint et s’efface. L’écrivaine Loubaba Laalej a donc choisi de baptiser les seuils de ses fragments « Les voiles». Parmi les significations du voile en langue arabe: ce qui cache quelque chose, ce que l’on aperçoit de la montagne, ce qui sépare la poitrine et le ventre, une couverture déterminant la quantité de lumière qui passe à la lentille ou au système optique, et le voile du soleil: sa lumière.
Loubaba Laalej nous met devant des miroirs où se font écho le chagrin de la flûte et la mélodie du violon tzigane, là où s’unissent les couleurs et les races et où il n’y a pas de différence entre les cultures et les identités. Dans la surface de la terre, il n’y a pas de différence entre «arabe, juive, noire, nordique ou asiatique». La transparence se mêle à l’ambigüité. Ensemble, elles s’éloignent de plus en plus jusqu’au point de l’évaporation. Et même quand l’œil se déplace pour regarder, La mère mormone : « Bienvenue brillance ! ». Et l’écho résonne : » Avec ton lait, ma mère, j’ai bu la glace ! » (Et l’une ne bouge pas sans l’autre », Luce Irigaray, Editions de Minuit, Paris, 1987, p. 7).
Dans un de ces instants des « voiles des ombres », une lumière de velours luit, sur le nom du « moi » dans l’immersion de la nuit : L (Lam) ouvre le prénom et L (Lam) ouvre le nom de famille. Les deux L, ensemble, ordonnent le lever du soleil. Le premier L est une poitrine et le deuxième un baume. L’amour du nom relève de l’amour du corps. Les deux ici dans ces fragments sont la présence et l’absence, imperceptible.
Un fil fin se manifeste entre le noir et le blanc. Une extase grise coule dans les artères de ces fragments. De l’extase du « moi » à l’extase de l’autre. Voyager à travers ces voiles / les fragments rafraîchissent la différence. Une main pictographie, un œil qui voit et une langue qui épelle :
» Le mot m’anéantit souvent partout où se déchire l’origine
Partout où je peux parler, je brise l’unité de la pensée
La passion tendue, le signe, n’est-elle pas autour de moi ?
N’y-a-t-il pas un paysage où je peux dessiner mon errance ? » (Le Lutteur de classe à la manière taoïste », Abdelkébir Khatibi, traduit par Kadhim Jihad, Éditions Dar Toubkal, Casablanca, première édition 1986, p. 5).
Le lustre d’un seul fragment enveloppe l’entité de ce corps, né d’un autre corps. Dans le premier coup de la nuit, comme dans le dernier coup de la nuit, le corps change de peau, devient dans le miroir une mère et un père, ses noms se multiplient… s’harmonisent les formes dans le miroir, oscillent entre Ouest et Est, émergent comme une ligne, une lettre, un signe, pour devenir au final une fascination intenable.».