« Le Maroc au féminin : Code de la famille entre l’urgence de la refonte et les résistances culturelles et sociales »

I. Préambule

Se déclarant profondément préoccupé par le nombre croissant des demandes d’autorisation du mariage des mineurs approuvées en 2022 et qui s’élève à 13.652 et le nombre de violences domestiques, notamment les 56% des femmes au foyer ayant été victimes de violence de la part de leur mari
Signalant que les violences physiques et sexuelles faites aux femmes coûtent 2,85 MMDH aux ménages et 22,8% des femmes ont dû supporter, elles ou leurs familles, des coûts directs ou indirects de la violence.
Notant que le Maroc vient d’enregistrer un record de 27.000 cas de divorce rien qu’en 2021. Un chiffre jamais atteint depuis l’entrée en vigueur de la Moudawana.
Saluant les efforts du Maroc pour lutter contre le mariage des mineurs et les violences basées sur le genre malgré les résistances culturelles.
Soulignant que le Code de la famille jugé avant-gardiste et révolutionnaire, nécessite aujourd’hui une réforme complète 20 ans après son adoption en 2004, afin de garantir les droits de tous, hommes et femmes, tout en tenant compte l’intérêt supérieur des enfants.
Rappelant tous les discours de SM le Roi sur la promotion des droits des femmes y compris le dernier Discours adressé à la Nation à l’occasion du 23ème anniversaire de la Fête du Trône appelant à une réforme de la Mudawana.
Notant que « l’esprit de la réforme du Code de la famille, ne consiste pas à octroyer à la femme des privilèges gracieux, mais, bien plus précisément à lui assurer la pleine jouissance des droits légitimes que lui confère la Loi, car dans le Maroc d’aujourd’hui, il n’est en effet plus possible qu’elle en soit privée, » tel qu’il était précisé par SM le Roi Mohammed VI dans son Discours adressé à la Nation à l’occasion du 23ème anniversaire de la Fête du Trône
Reconnaissant que le Code de la famille « n’est spécifique ni aux hommes, ni aux femmes mais il est dédié à la famille entière », nécessitant une forte mobilisation et un engagement de tous les acteurs, principalement pour contribuer à faire évoluer les mentalités en matière d’égalité entre les femmes et les hommes et renforcer la masculinité positive
Notant que le référentiel de l’égalité Homme/Femme doit être inclus dans les principes directeurs du Code de la Famille
Rappelant que le Code nécessite aujourd’hui non seulement l’alignement sur les évolutions de la société marocaine mais aussi la mise en conformité avec les lois en vigueur avec la constitution 2011 et les engagements internationaux du Maroc.
Soulignant les efforts déployés par le Maroc pour améliorer la pratique conventionnelle caractérisée par une forte volonté d’aligner la législation nationale aux conventions internationales.
Notant que le Maroc a ratifié les neuf conventions fondamentales qui constituent le noyau dur des droits de l’Homme, ainsi que cinq protocoles annexes.
Rappelant que les problèmes liés à l’application et l’interprétation du Code de la Famille limitent la pleine participation de la femme dans le développement du pays.
Jugeons que la société civile joue un rôle primordial dans la sensibilisation, la vulgarisation et la moralisation de la vie publique afin de lutter contre les stéréotypes fondés sur le genre et la normalisation avec les inégalités persistantes dans la relation entre les hommes et les femmes qui peuvent se manifester dans la gestion de la relation familiale.
Capitalisant sur les efforts menés par la société civile notamment les campagnes de plaidoyer pour l’égalité des sexes, la non-discrimination, l’autonomisation des femmes, la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la participation politique des femmes, ainsi que la réforme approfondie de la Moudawana adoptée en 2004, en mettant en avant des questions telles que l’âge du mariage, la garde des enfants, et la tutelle.
Nous les participant (e)s dans cette conférence régionale sur le Code de la Famille entre l’urgence de la refonte et les résistances culturelles et sociales organisé par le ConnectinGroup en collaboration avec le Centre International de Diplomatie avec la participation d’environ 100 ONGs spécialistes dans des questions en relation avec l’égalité, les droits des femmes et les droits humains en général et le développement représentant différentes régions du Royaume du Maroc, en plus des juristes, et chercheurs académiques.
NOUS APPELONS A :

  1. Achever la procédure de ratification des autres protocoles annexés à des conventions de base et aligner la législation nationale aux instruments du droit international, y compris la révision en parallèle du Code de la Famille, la loi 103-13 ainsi que les dispositives du Code pénal.
  2. Examiner, réviser, modifier et abroger toutes les lois, règlements, politiques, pratiques et coutumes qui sont discriminatoires à l’égard des femmes et qui ont, ou peuvent avoir un effet de discrimination à l’égard des femmes et mettre l’égalité au cœur des principes directeurs de la réforme du Code de la Famille.
  3. Accélérer la mise en œuvre de l’article 19 de la Constitution et activer la mise en place et le fonctionnement de l’Autorité pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination et le Conseil consultatif de la famille et de l’enfance.
  4. Renforcer le rôle des femmes dans tous les niveaux du processus de prise de décision
  5. Intégrer la culture de l’égalité et les droits humains dans les manuels scolaires comme moyen pédagogique de promotion de l’égalité des genres et la lutte contre les images et contenus stéréotypés et sexistes.
  6. Assurer un équilibre entre la légitimité religieuse et l’ouverture à la modernité à travers l’instauration des principes de l’égalité entre l’homme et la femme en conformité avec les conventions internationales.

Par rapport aux articles spécifiques au Code de la Famille, nous appelons à :

  1. Supprimer l’article 148 du code de la famille, qui considère la filiation illégitime comme nulle pour le père. Considérer l’expérience génétique via l’ADN comme un motif de droit à la paternité, et pas seulement comme un moyen de prouver la paternité fondée sur le mariage.
  2. Interdire catégoriquement et définitivement le mariage des mineures de moins de 18 ans, et donc supprimer l’article 20 et 21 du Code de la Famille et prévoir un langage clair sur l’interdiction du mariage des mineurs.
  3. Lancer des campagnes de sensibilisation en vue de changer les comportements culturels qui contribuent au mariage à la Fatiha, chèque et contrat et prévoir des sanctions dans le code pénal sur ces actes
  4. Considérer la représentation légale (toutes les prises de décision concernant l’enfant, qu’elles soient d’ordre administratif (sortie du territoire, etc.), scolaire, sanitaire ou encore patrimonial) comme un droit commun entre les parents pendant la relation conjugale et après sa cessation, dans le cadre du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant
  5. Proposer une réforme de la pension alimentaire qui préciserait la somme de la pension alimentaire, afin qu’elle soit proportionnelle au revenu des parents, en prévoyant un pourcentage sur le revenu.
  6. Supprimer les articles 173 et 175 du Code de la famille et les remplacer par des articles qui permettraient à la mère remariée de bénéficier de la garde partagée, et prévoir entre autres, une définition plus précise des conditions de garde.
  7. Mettre en place une loi distincte portant sur les régimes matrimoniaux portant sur l’ensemble de dispositions légales ou conventionnelles qui règlent les rapports patrimoniaux entre époux et prévoir un acte séparé joint à l’acte de mariage comprenant la séparation des biens. Les conjoints sont supposés être dans un système de communauté des biens.
  8. Supprimer les formes de divorces qui ne sont pas activés et unifier les procédures de divorce pour mettre fin aux différentes formes de discrimination entre les conjoints lors de la rupture du mariage. Même si le Code prévoit plusieurs formes de divorces (divorce pour cause de discorde chiqaq, le divorce par consentement mutuel, le divorce révocable Rijii), les formes les plus répandus ce sont le Chiqaq et le consentement mutuel.
  9. Lutter contre les stéréotypes judiciaires qui blâment les victimes plutôt que de punir les coupables et changer tout type de terminologie discriminatoire portant atteinte à la femme et aux enfants, telle que : la filiation paternelle découlant: 1- des rapports conjugaux (Al Firach); 2- de l’aveu du père (Iqrar); 3- des rapports sexuels par erreur (Choubha). ; le don de consolation (Mout’â) qui sera évalué en fonction de la durée du mariage ; le terme « abandonné » qui est un jugement de valeur, une terminologie négative et discriminatoire qui fait référence au lakit (enfant trouvé). Toute identification de l’enfant doit prendre en considération son avenir et être une voie à sa reconstruction et non un traumatisme psychologique.
  10. Impliquer les acteurs clés dans le processus de réforme à travers la participation des organisations de la société civile, des acteurs politiques et religieux, dans le processus de réforme pouvant aider à trouver des solutions consensuelles et à surmonter les résistances.
  11. Institutionnaliser d’une manière transversale la médiation familiale préventive pour éviter certains divorces et la rupture familiale et préserver les intérêts des enfants qui sont pris dans la spirale des disputes (en se référant à la constitution 2011 et aux conventions internationales)
  12. Prévoir une formation prénuptiale des futurs mariés sur les diverses responsabilités dans un couple ainsi que sur l’effondrement des structures familiales, résultant de la violence sexiste. Ceci réduira fermement le taux de divorce.
  13. Intensifier les formations destinées aux juges, aux procureurs et aux avocats afin de mettre en œuvre les instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme devant les tribunaux nationaux, et renforcer la spécialisation des juges en droit de la famille.
  14. Prêter une attention spéciale aux problématiques des femmes vivant à l’étranger dans des pays où l’acte de mariage n’est pas reconnu par la loi marocaine, et où ce dernier est enregistré dans un pays qui n’a pas de convention avec le Maroc. Cette problématique pourrait priver les enfants de bénéficier de la nationalité marocaine de leur mère et tous les droits connexes. Ainsi, renforcer l’enregistrement du mariage ou du divorce des marocains du monde dans les consultants du Maroc à l’étranger sans se soucier de se déplacer au Maroc.
  15. Assurer une meilleure représentativité du Conseil de la Communauté Marocaine à l’Etranger (CCME) dans les commissions en charge de la révision des lois afin d’adapter les dispositions du Code de la Famille avec la réalité dans les pays d’accueil tout en préservant l’identité nationale surtout en ce qui concerne les aspects de conflit du régime juridique et juridictionnel du mariage ou du divorce, l’exécution des jugements en droit de la famille, droits financiers des conjoints et des enfants et la pension alimentaire, la garde des enfants et le droit de visite.
  16. Inscrire l’égalité du genre dans le témoignage des procédures du mariage et du divorce, tout en saluant les efforts du Maroc pour permettre à la femme d’exercer le métier de Adoul dont 277 femmes parmi 800 lauréats de l’Institut supérieur de la Magistrature ont intégré le domaine professionnel en 2020.
  17. Reconnaitre le témoignage de la femme devant un notaire traditionnel pour la procédure « Lafif Adli» égal à celui de l’homme à travers une réglementation de la profession des Adouls, et réduire le nombre de 12 témoins dans une affaire qu’il s’agit d’authentifier par acte adulaire et inclure les femmes parmi les témoins.
  18. Abroger l’article 400 du Code de la Famille qui stipule que les juges sont tenus de s’inspirer du rite malékite dès lors que la règle de droit écrite serait absente, lacunaire, ou imprécise, laissant ainsi la porte ouverte à des jugements qui vont à l’encontre des finalités de la réforme de 2004 et de celles de la Constitution de 2011.

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